Une nouvelle optique : Ne lisez pas les commentaires
Quand j’étais en 6e année, j’ai dit à ma mère que j’avais du mal à voir au tableau à l’école, et elle m’a aussitôt envoyée chez l’optométriste pour m’y faire passer un examen de la vue. Imaginez ma déception, moi qui espérais tant porter des lunettes, quand l’optométriste a passé ses doigts à travers la monture pour me montrer que je n’avais pas du tout besoin de lunettes. En fait, j’avais une vue presque parfaite! Bien « voir », avec ou sans lunettes, est d’une importance capitale!
Ces dernières années, j’ai eu l’occasion de réviser de nombreux textes écrits par notre fille, qui suivait un programme de premier cycle universitaire en histoire et en études muséales. Et cela m’a beaucoup apporté. En effet, en lisant ses textes, et en faisant d’autres lectures par la suite, j’ai appris des choses complètement nouvelles pour moi. Je regarde maintenant « mon Canada » et le monde d’un tout autre œil.
J’ai découvert des éléments de l’histoire du Canada que j’ignorais totalement et dont je ne suis pas fière, par exemple la taxe d’entrée imposée aux immigrantes et immigrants chinois (1885-1923) et l’exclusion de ceux-ci (1923-1947), l’internement des Canadiens et Canadiennes d’origine japonaise et italienne pendant la Seconde Guerre mondiale, le refus d’accueillir des immigrantes et immigrants indiens arrivés à bord du Komagata Maru à la veille de la Première Guerre mondiale de même que des réfugiées et réfugiés juifs arrivés à bord du paquebot transatlantique Saint Louis pendant la Seconde Guerre mondiale, et la réinstallation de familles inuites dans le Haut-Arctique dans les années 1950. Le gouvernement canadien a présenté des excuses officielles dans chacun de ces cas.
À l’instar de mon optométriste qui m’aide à mieux voir, je vous propose de changer de « lunettes » et vous lance le défi d’inciter d’autres à faire de même. Le photographe Elliott Erwitt donnait souvent ce conseil : « N’oubliez pas d’enlever le capuchon de l’objectif avant de prendre votre photo ». Suivons son conseil et assurons-nous d’avoir l’esprit ouvert et d’enlever le capuchon qui nous bloque la vue. Nous serons ainsi mieux en mesure de découvrir la vérité au sujet des pensionnats indiens au Canada, de reconnaitre la nécessité d’une enquête sur les femmes autochtones disparues ou assassinées, et de comprendre la réalité des membres des Premières Nations, des Inuits et des Métis qui vivent dans les réserves ou à l’extérieur de celles-ci. Il est souvent plus facile et rassurant de se mettre des œillères que de chercher à comprendre pourquoi les réalités d’aujourd’hui sont ce qu’elles sont. Il faut en quelque sorte se mettre dans la peau de quelqu’un d’autre.
J’ai été honorée qu’on m’invite à l’inauguration du Centre national pour la vérité et réconciliation de l’Université du Manitoba, à Winnipeg, qui a eu lieu pendant la première semaine de novembre. J’ai pu y entendre des histoires personnelles sur la vie dans les pensionnats, mais j’ai aussi pu voir la volonté des personnes survivantes d’aller de l’avant, de bâtir une vie meilleure pour leurs enfants et petits-enfants. J’ai également été encouragée d’entendre de nombreuses personnes affirmer que l’éducation est la clé, et d’entendre aussi l’optimisme dans leur voix, un optimisme qui n’était peut-être pas là au moment où le rapport de la Commission de vérité et réconciliation a été rendu public, en juin dernier.
Nous, enseignantes et enseignants, avons la responsabilité non seulement d’apprendre la vérité au sujet des pensionnats indiens, mais aussi de nous assurer que ces évènements de l’histoire du Canada sont intégrés dans les programmes d’études de chaque province et territoire. Lors de mon passage à Winnipeg, en novembre, je me suis engagée au nom des 200 000 enseignantes et enseignants membres de la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants (FCE) à continuer de défendre les intérêts des Premières Nations, des Métis et des Inuits, et de collaborer avec eux dans le contexte des efforts de réconciliation et de mise en œuvre des engagements pris par le nouveau gouvernement fédéral.
Au moment où j’écris ces lignes, en cette fin de novembre, j’ai bon espoir que quand ce numéro de Perspectives aura été publié, des réfugiées et réfugiés syriens auront commencé à arriver au Canada. Le thème de ce numéro, les droits de la personne, ne pourrait être plus opportun. Cependant, j’ai cessé de lire les commentaires qui accompagnent tout ce qui est affiché en ligne, qu’il s’agisse des médias grand public ou des médias sociaux comme Facebook et Twitter, parce que je commençais à perdre confiance en mes concitoyennes et concitoyens canadiens. Beaucoup ont des œillères si serrées et une vue si courte qu’ils se replient sur eux‑mêmes au lieu de tendre la main à des personnes beaucoup plus vulnérables qu’eux.
Heureusement, j’ai entendu dire que, pour chaque commentaire négatif, il y avait dix commentaires positifs non écrits; ils forment la majorité silencieuse. Au lieu de se plaindre en ligne de l’arrivée de personnes réfugiées au Canada, cette majorité silencieuse est passée à l’action aux quatre coins du Canada pour savoir comment parrainer des réfugiées et réfugiés syriens. Des Canadiennes et Canadiens, individuellement et en groupes, se sont engagés à faire des dons à des organismes de bienfaisance, dons que le gouvernement fédéral égalera. D’autres font des dons par l’intermédiaire de plateformes de sociofinancement et d’autres sites Web, et nombreux sont ceux et celles qui appellent les lignes d’assistance pour demander ce qu’ils peuvent faire pour aider.
Je me suis engagée à aller de l’avant sans œillères, et je termine en vous invitant à lire cet article de Remzi Cej (en anglais seulement), récemment publié dans le Globe and Mail. Remzi Cej est l’un des 12 défenseuses et défenseurs canadiens des droits de la personne présentés dans l’outil pédagogique Parler vrai au pouvoir Canada. Le Canada dont il parle est « mon » Canada!