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Les femmes aux postes de direction dans la profession enseignante

| Équité entre les genres, Profession enseignante, Technologie

Examen de la représentation des femmes aux postes de direction dans la profession enseignante

Au sein de l’Alberta Teachers’ Association (ATA), le Sous-comité de la représentation des femmes aux postes de direction a notamment pour mandat d’effectuer des recherches, de sensibiliser le public et de mener une action politique et sociale concernant les côtés positifs et les côtés sombres de la représentation des femmes aux postes de direction en éducation. Le présent article met en lumière les résultats d’une enquête d’évaluation des besoins concernant les obstacles systémiques qui influent sur l’accession et la progression des femmes aux postes de direction en éducation.

Afin d’examiner les questions de la sous-représentation des femmes aux postes de direction en éducation et du statut des femmes au sein de la profession enseignante en Alberta, le Comité de la diversité, de l’équité et des droits de la personne de l’ATA a créé, durant l’année scolaire 2018-2019, un sous-comité de la représentation des femmes aux postes de direction.

Ce Sous-comité a notamment pour mandat d’élaborer un plan de recherche visant à examiner les expériences des femmes et les obstacles qu’elles rencontrent pour accéder à des postes de direction, tant au sein de l’ATA que dans les administrations scolaires publiques. L’enquête d’évaluation des besoins a permis de dégager trois thèmes majeurs : le filtrage normatif, le stéréotypage fondé sur le genre et l’équilibre travail-vie familiale.

Le filtrage normatif 

Le filtrage normatif désigne l’acceptation d’un modèle normalisé de leadership et les processus mis en place pour veiller à ce que la norme de leadership acceptée soit maintenue et reproduite (Newton, 2006; Sperandio, 2015; Tallerico, 2000). D’après Laura Bierema (2016), [traduction libre] « la littérature sur le leadership a longtemps été dominée par la conception selon laquelle le dirigeant idéal est une personne qui évolue dans un milieu aculturel et en tous points neutre, possède des traits masculins et est idéalement un homme » (p. 121). Les données de cette enquête font clairement ressortir ce filtrage normatif et la dépendance à l’égard du modèle du dirigeant idéal. Les répondantes et répondants à l’enquête ont indiqué trois manières dont les pratiques de filtrage normatif se sont manifestées pour eux : la surreprésentation des hommes aux postes de direction, les pratiques d’embauche préférentielles et le manque de possibilités de mentorat, aussi bien formel qu’informel.

Pour beaucoup de répondantes et répondants, l’existence d’une discrimination fondée sur le genre est flagrante au vu du déséquilibre entre le nombre d’hommes et le nombre de femmes occupant un poste de direction par rapport à la population totale du personnel enseignant. La faiblesse des pourcentages en témoigne clairement : on compte environ 13 % de femmes parmi les directeurs et directrices d’école en Alberta et la proportion est similaire pour les postes de la haute direction au sein de l’ATA. En 2019, le Conseil exécutif provincial de l’ATA était constitué de 19 représentantes et représentants élus et d’un secrétaire exécutif. Sur ces 19 personnes, 65 % étaient des hommes et 35 % des femmes. En outre, dans toute l’histoire de l’ATA, sur les 55 personnes ayant présidé le Conseil exécutif provincial, seules huit étaient des femmes, soit une proportion de 15 %.

Jill Blackmore, Pat Thomson et Karin Barty (2006) ont réalisé une étude sur la perception des processus et des procédures de recrutement au mérite pour la sélection des directrices et des directeurs d’école en Australie. D’après leurs conclusions, [traduction libre] « la sélection au mérite a manifestement déraillé quelque part pour qu’elle ait engendré une désillusion aussi généralisée à l’égard du système » (p. 298). Les auteures imputent en partie cette désillusion au constat qu’elles ont elles-mêmes fait, à savoir que les comités de recrutement préfèrent nettement sélectionner des personnes qu’ils connaissent déjà, malgré l’objectif déclaré d’accroître la diversité au sein du groupe de la direction. Selon elles, [traduction libre] « les technologies controversées de sélection tendent à devenir un modèle de “reproduction” dans lequel les personnes qui ne correspondent pas au “profil normalisé du directeur d’école” sont évincées. Cette attraction pour ce que l’on connaît ou ce qui nous est familier est appelée l’homosociabilité » (p. 309). D’après une étude plus récente de l’Université de la Colombie-Britannique (2021), les femmes ayant obtenu des notes A à la fin de leurs études secondaires ont relativement les mêmes possibilités d’accéder à un poste de direction que les hommes ayant obtenu des notes d’échec.

Même en travaillant dur et en possédant des capacités avérées, les femmes ne parviennent pas à surmonter les obstacles systémiques en place, comme le filtrage normatif. Les commentaires qualitatifs des répondantes et répondants ont révélé la perception selon laquelle des pratiques injustes étaient appliquées pour le recrutement aux postes de direction, tant dans les administrations scolaires qu’à l’ATA, et que le « club des bons copains » restait toujours hermétiquement fermé aux femmes.

Enfin, les répondantes et répondants ont indiqué que le mentorat était un obstacle pour l’accession des femmes aux postes de direction. Le mentorat est [traduction libre] « une stratégie hautement reconnue et acceptée pour attirer, perfectionner et fidéliser des dirigeants dans l’ensemble du secteur de l’éducation et ailleurs » (Robinson, Horan et Nanavati, 2009, p. 35). D’après les données qualitatives de cette enquête, les répondantes et répondants considèrent qu’ils n’ont, dans leur propre parcours professionnel, pas bénéficié des mêmes possibilités de mentorat, et que ce traitement différent était essentiellement fondé sur le genre. Ces personnes ont indiqué que les femmes avaient moins d’occasions d’accéder aux possibilités de mentorat, particulièrement celui qui se déroule dans un cadre informel, comme les activités sportives et les réunions amicales, dont elles sont souvent exclues.

Le stéréotypage fondé sur le genre

D’après le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (2014), [traduction libre] « le stéréotype fondé sur le genre est une croyance ou une idée préconçue généralisée à propos des attributs ou des caractéristiques que les hommes et les femmes doivent ou devraient posséder ou des rôles que les hommes et les femmes doivent ou devraient tenir » (paragr. 1). Dans son Glossaire sur l’égalité entre les femmes et les hommes (2016), la Commission pour l’égalité de genre du Conseil de l’Europe a expliqué que « les stéréotypes féminins sont à la fois le résultat et la cause d’attitudes, valeurs, normes et préjugés profondément enracinés à l’égard des femmes. Ils sont utilisés pour justifier et maintenir la domination historique des hommes sur les femmes ainsi que les comportements sexistes qui empêchent les femmes de progresser. » Les répondantes et répondants ont indiqué que les stéréotypes fondés sur le genre existent bel et bien et sont pleinement opérationnels dans les administrations scolaires de l’Alberta et au sein de l’ATA.

Les répondantes et répondants estiment que, dans leur milieu, la division du travail est fondée sur le genre, et ils soulignent que le stéréotypage fondé sur le genre commence par le niveau auquel les enseignantes et les enseignants travaillent. L’une des réponses était ainsi formulée : [traduction libre] « Je pense qu’il existe un préjugé sexiste sous-jacent quand je regarde les niveaux scolaires auxquels enseignent les hommes et les femmes. D’après ce préjugé, les femmes doivent enseigner au niveau élémentaire et les hommes au niveau intermédiaire ou secondaire. » En d’autres termes, les enseignantes travaillent généralement avec les plus jeunes élèves tandis que les enseignants s’occupent d’élèves plus âgés. Sheelagh Drudy (2008) a demandé à des élèves ainsi qu’à des enseignantes et des enseignants en formation pourquoi les hommes n’enseignaient pas au niveau élémentaire et a relevé que [traduction libre] « la perception selon laquelle l’enseignement à l’élémentaire est un travail de femmes, ou est lié au rôle maternel, est l’explication la plus fréquemment avancée tant par les élèves que par le personnel enseignant pour expliquer la faible proportion d’hommes qui enseignent à ce niveau » (p. 311 et 312).

L’équilibre travail-vie familiale

[Traduction libre] « On attend des femmes qui ont des enfants qu’elles travaillent comme si elles n’en avaient pas et qu’elles élèvent leurs enfants comme si elles ne travaillaient pas. Regardez les statistiques. Combien d’enseignants sont des femmes? Combien de femmes occupent un poste de direction? » (citation d’une répondante à l’enquête).

La tension qui existe entre vie professionnelle, avancement professionnel et vie familiale est parfaitement établie dans la littérature sur l’éducation et ailleurs (Bascia et Young, 2001; Eagly et Carli, 2007; Grogan et Shakeshaft, 2011; Oplatka et Tamir, 2009). Tandis que les femmes continuent d’assumer davantage de responsabilités en dehors du foyer, leurs responsabilités domestiques ne diminuent aucunement (Loder et Spillane, 2006; Oplatka et Tamir, 2009). Les répondantes et répondants ont soulevé plusieurs points intéressants liés à la grossesse, aux obligations familiales et à l’avancement professionnel en ce qui concerne le traitement discriminatoire. Si certains universitaires ont placé l’équilibre travail-vie familiale au rang des facteurs endogènes qui font obstacle à l’avancement professionnel des femmes, étant donné que beaucoup d’entre elles assument la majeure partie des tâches domestiques dans leur foyer (Bascia et Young, 2011; Oplatka et Tamir, 2009), les répondantes et répondants ont aussi fait observer l’existence de facteurs exogènes. Ainsi, l’une de ces personnes a indiqué que [traduction libre] « l’on ne donne pas souvent des rôles de direction aux femmes qui sont en âge de procréer. L’investissement des femmes dans leur travail est remis en question ». Une autre personne a affirmé : [traduction libre] « Je crois que les femmes se font souvent souffler les postes de direction quand elles sont encore en “âge de procréer” et aussi quand elles ont de jeunes enfants à élever ». Enfin, une autre personne suppose que [traduction libre] « l’on n’accorde peut-être pas un poste (un contrat) aux jeunes enseignantes au motif qu’elles pourraient tomber enceintes et partir en congé ». 

Ces commentaires illustrent la manière dont la vision masculinisée du travailleur idéal peut empêcher l’avancement professionnel des femmes dans les écoles et à l’ATA. Bien que cela puisse ne pas être explicite par nature dans les administrations scolaires ou à l’ATA, l’idée que les femmes en âge de procréer ne sont pas des candidates potentielles à des postes de direction peut avoir un effet délétère sur les enseignantes qui aspirent à occuper ce type de poste dans l’éducation.

Conclusion

Les résultats de cette enquête d’évaluation des besoins ont confirmé qu’il faut étudier plus en profondeur les obstacles systémiques qui influent sur l’accession et la progression des femmes à des postes de direction en éducation. Tous ces facteurs ont été exacerbés par la pandémie actuelle de COVID-19. En cette période, le rôle des femmes change rapidement, leurs responsabilités augmentent et les inégalités se creusent. La réalité vécue actuellement a encore aggravé les inégalités qui prévalent déjà dans la société d’aujourd’hui. Le ralentissement économique a été qualifié de « récession au féminin » (Lewis, 2020; LeanIn, 2020; Powers, 2020) et ses conséquences sur la vie professionnelle des femmes et des enseignantes commencent à être documentées (Chung, 2020; Promundo, 2019; Nations Unies, 2020; Wenham, Smith et Morgan, 2020). Le Sous-comité de la représentation des femmes aux postes de direction continue d’étudier différents facteurs comme la vie familiale, les responsabilités de proche aidant, les rôles et les perceptions socioculturels, et la situation économique dans le contexte de la pandémie.


Elissa CorsiPh. D., cadre supérieureThe Alberta Teachers’ Association, secteur des programmes gouvernementaux, professeure auxiliaire, Université de l’Alberta, leadership en éducation
Lisa EverittEd D, cadre supérieureThe Alberta Teachers’ Association, secteur des programmes gouvernementaux
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