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Les enseignantes et enseignants doivent « trumper » les Trump de ce monde

| Équité entre les genres

Cet article, écrit juste avant l’élection présidentielle américaine, a été publié le 8 novembre 2016 dans la revue ATA News. Depuis, Sandra Jansen, membre de longue date du Parti progressiste-conservateur (PPC) de l’Alberta, s’est retirée de la course à la direction du parti en raison de l’intimidation et du harcèlement dont elle a été victime lors du Congrès annuel des membres. Une autre candidate à la chefferie, Donna Kennedy‑­Glans, également membre de longue date du PPC et ancienne membre de l’Assemblée législative, s’est elle aussi retirée de la course. Mme Kennedy‑Glans a déclaré en entrevue qu’elle n’a pas elle-même subi de harcèlement ou d’intimidation, mais qu’elle a été témoin de ce que sa collègue a vécu. Elle a également dit qu’à son avis, son programme progressiste n’aurait pas eu de place au sein du parti. De son côté, Sandra Jansen a rejoint les rangs du NPD environ une semaine après son retrait de la course à la chefferie du PPC. Pendant son premier discours en tant que nouvelle députée néodémocrate à l’Assemblée législative, Mme Jansen a lu certains des messages haineux et misogynes qu’elle avait reçus. Elle a par ailleurs eu droit aux services d’une équipe de sécurité après avoir reçu des menaces plus violentes. L’article original est présenté ci‑dessous dans son intégralité.

Au moment où vous lirez ces lignes, la tempête qui a secoué l’élection présidentielle aux États-Unis sera chose du passé et un nouveau président ou une nouvelle présidente aura été choisi. Pour le moment, alors que la campagne tire à sa fin, le réseau Twitter semble tous les jours submergé par la masse de commentaires publiés en réaction aux propos de Donald Trump, et je ne peux m’empêcher de me dire : « comme je suis contente de vivre au Canada ». Mais en écoutant les nouvelles et en lisant les propos publiés en ligne, je me dis aussi que la tendance à ne pas prendre les agressions sexuelles au sérieux et à jeter le blâme sur la victime est un phénomène social qui n’a pas de frontières.

J’ai entendu un nombre incalculable d’hommes dire se dissocier de Donald Trump parce qu’ils avaient une fille, une épouse, une sœur ou une mère. Donc, même quand ils prennent la défense des femmes, ces hommes font valoir leur « droit de propriété ».

J’ai entendu un candidat à la présidence des États-Unis déclarer qu’il n’aurait jamais pu avoir agressé sexuellement l’une de ses accusatrices parce qu’elle n’était pas assez jolie. J’ai entendu un nombre incalculable d’hommes dire se dissocier de Donald Trump parce qu’ils avaient une fille, une épouse, une sœur ou une mère. Donc, même quand ils prennent la défense des femmes, ces hommes font valoir leur « droit de propriété ».

Ces déclarations m’ont également rappelé que, pour une survivante d’agression sexuelle, la dose quotidienne de vitriol qui accompagne chaque révélation concernant Trump et chaque accusation portée contre lui pouvait raviver des souvenirs qu’il lui faudrait revivre encore et encore. Ces souvenirs renaissent peut-être d’abord sous forme d’un léger murmure qui rappelle à cette survivante que, pour une femme, la sécurité n’est qu’une illusion. Mais à mesure que les accusations s’accumulent et que les défenseurs de Trump tiennent des propos de plus en plus virulents, ce murmure de peur s’amplifie jusqu’à devenir un cri dans sa tête qu’elle ne peut faire taire.

Vous vous demandez peut-être pourquoi l’ATA News publie un article d’opinion sur les agressions sexuelles et l’élection américaine. C’est parce que nous vivons dans une culture qui nous oblige encore à dire aux jeunes femmes de faire attention à leur façon de s’habiller et aux endroits où elles se promènent, de toujours surveiller leur verre pour que personne n’y mette de la drogue et de ne pas trop boire d’alcool dans les fêtes pour qu’« il ne leur arrive rien de mal ». Nous vivons dans une culture qui dit à un groupe d’étudiants universitaires du Canada qu’il est correct de publier un livre de chansons qui parle de viol, de meurtre, d’inceste, de bestialité et de relations sexuelles avec des filles mineures. Maintenir le statu quo culturel en matière d’agression sexuelle est inacceptable. Cela nuit à tout le monde. Maintenir ce statu quo, c’est entretenir la « culture du viol ».

Nous vivons dans une culture où l’on minimise la gravité des agressions sexuelles et où l’on ne croit pas les victimes.

Nous déplorons que les femmes ne soient pas plus nombreuses à dénoncer leur agresseur et, en même temps, nous écoutons un juge albertain qui ne cesse d’appeler la victime « l’accusée » et qui, comble d’impudence, lui demande pourquoi elle n’a pas simplement serré les genoux. Nous vivons dans une culture où l’on minimise la gravité des agressions sexuelles et où l’on ne croit pas les victimes.

Nous appartenons à une profession essentiellement féminine, et plus de 80 % des victimes de crimes sexuels sont des femmes. Une Canadienne sur quatre subira une agression sexuelle au cours de sa vie, mais seulement 6 % des agressions sexuelles sont rapportées à la police. Et si 80 % des agressions sexuelles se produisent à la maison, entre 1 et 2 % seulement des viols commis par une connaissance sont signalés à la police. De toutes les agressions sexuelles, 80 % sont commises par un ami ou un membre de la famille de la victime, mais, pour une raison ou une autre, beaucoup de gens croient encore que le « viol » désigne uniquement ce qui arrive quand un étranger armé d’un fusil attaque une femme dans une ruelle.

Les victimes d’agression sexuelle sont nos collègues. Elles sont assises à côté de nous dans le salon du personnel et entendent Trump déclarer que toutes ses accusatrices sont des menteuses et qu’il les poursuivra en justice dès que la campagne électorale sera terminée. Elles entendent des personnes avec qui elles passent leur vie professionnelle spéculer sur les raisons pour lesquelles ces femmes ont dénoncé Trump à ce moment précis et mettre en doute la véracité de leurs témoignages, même si nous savons qu’entre 2  et 4 % seulement des agressions sexuelles signalées sont fausses. Et ces femmes, nos collègues, tentent de dissimuler leurs réactions. Mais les souvenirs reviennent en force, et elles ne peuvent qu’espérer que les cauchemars ne reviendront pas eux aussi. Et peut-être qu’elles se disent : « Heureusement que je n’ai rien dit ».

Nous devons expliquer aux jeunes que les commentaires de Trump ne sont pas que des « conversations de vestiaire » ou des fanfaronnades. Nous devons leur faire comprendre que les mots comptent!

Nous, enseignantes et enseignants, devons savoir que 60 % des victimes de violence ou d’agression sexuelle ont moins de 17 ans, et que 15 % des victimes d’agression sexuelle sont des garçons de moins de 16 ans. Ces enfants sont nos élèves. Nous devons expliquer aux jeunes que les commentaires de Trump ne sont pas que des « conversations de vestiaire » ou des fanfaronnades. Nous devons leur faire comprendre que les mots comptent! Ces discussions ne sont pas faciles. Elles peuvent faire surgir toutes sortes de souvenirs ou de révélations.

J’écoute Trump et je crains que nous ne soyons en train de normaliser son comportement, un comportement qui devrait être vu non seulement comme inacceptable, mais également comme criminel. Et même si je sais qu’il ne représente pas toute la population, ni même la majorité, Trump est un homme avec un micro dans la main et dont les mots se rendent bien au-delà des frontières des États-Unis. Il ne suffit pas de se dire en désaccord ou de ne rien dire du tout. Nous avons tous et toutes la responsabilité de nous lever et de nous exprimer haut et fort si nous voulons changer la culture, une culture qui permet à Trump et à ses nombreux partisans de penser que ce qu’il dit et fait est acceptable.

Si vous avez besoin d’aide, il existe un réseau de centres et de services qui offrent du soutien 24 heures sur 24 aux victimes d’agression sexuelle ainsi que des programmes de counseling et d’autres programmes de rétablissement. Vous pouvez obtenir de plus amples renseignements en communiquant avec l’Association of Alberta Sexual Assault Services au 403-237-6905, poste 3, ou en visitant https://aasas.ca/ (en anglais seulement).


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