L’éducation secondaire des filles en Ouganda
La pandémie insuffle un sentiment d’urgence à un projet axé sur l’éducation des filles en Ouganda
Lorsque je me suis rendue en Ouganda en février dernier, en compagnie de mon collègue et directeur Dan Martin, j’effectuais la première de nombreuses visites que j’allais vraisemblablement faire dans ce pays d’Afrique de l’Est. Quand les roues de l’avion ont touché le sol après presque vingt heures de vol, j’arrivais à peine à contenir mon excitation.
Après trois participations au Projet outre-mer, auxquelles s’ajoutent une carrière dans l’enseignement au Canada et la direction de projets visant à favoriser l’éducation des élèves défavorisés au Mexique, me retrouver à la tête des efforts pour améliorer l’éducation des filles en Ouganda était l’aboutissement d’années d’expérience et un rêve qui se concrétisait. Quand je suis sortie de l’aéroport à Kampala et que j’ai pris mes premières bouffées d’air chaud subsaharien, le rêve est devenu réalité. Au terme de mois de planification et de nombreuses réunions, le projet Simameni prenait enfin son envol!
Le projet Simameni, qui a pour but non seulement d’accroître le nombre de filles au palier secondaire, mais aussi d’améliorer les conditions d’apprentissage, est une grande source de fierté pour la CTF/FCE. Après plusieurs années sans soutien financier de l’administration fédérale pour les projets de développement de la société civile, Simameni marque le retour de la participation du Canada aux efforts pour favoriser l’équité au-delà de ses frontières. Donc, lorsque nous avons conclu deux semaines d’ateliers avec le gouvernement et le milieu de l’éducation, et avec des dirigeantes et dirigeants communautaires, ce projet d’une durée de cinq ans était bien lancé. Puis, moins d’un mois plus tard, à cause de la pandémie de COVID-19, tout s’est arrêté d’un coup.
Une année scolaire sans pareille
Au Canada, le retour à l’école a suscité cette année toute une gamme d’émotions contradictoires, allant de l’excitation habituelle qui accompagne le mois de septembre au sentiment omniprésent d’appréhension et d’anxiété ressenti par les éducateurs et éducatrices, les élèves et les parents. Même si elle ne fait que commencer, l’année scolaire donne l’impression que nous sommes déjà en retard et en mode rattrapage.
La pandémie a mis au jour des inégalités déjà présentes dans nos propres systèmes d’éducation. Que ce soit pour des raisons de pauvreté, de violence fondée sur le genre et de connectivité physique et virtuelle déficiente, la pandémie fait courir à nos élèves les plus vulnérables un risque accru. Nos enfants sont retournés à l’école au début de septembre et, six semaines plus tard, nous voyons déjà les effets négatifs de la pandémie s’exercer sur notre personnel enseignant et nos élèves. Tout cela se déroule au Canada, dans un pays pleinement développé. Essayez maintenant d’imaginer ce à quoi ressemble le retour en classe dans un pays comme l’Ouganda, où les écoles devraient rouvrir cette semaine après être demeurées fermées pendant plus de six mois.
À l’heure où les écoles ougandaises se préparent à déverrouiller leurs portes, le projet Simameni est prêt à aller de l’avant. Même si les conditions seront probablement très différentes de celles en début d’année, le but du projet reste le même : améliorer l’accès des filles à l’éducation, la persévérance scolaire de celles-ci et les possibilités éducatives qui s’offrent à elles dans les écoles secondaires de communautés sélectionnées dans les régions de Teso et de l’Ouest du pays.
Simameni (« se tenir debout » en swahili) vise à influencer les valeurs et les normes en matière de genre au sein de la société ougandaise, de même qu’à faire valoir les avantages de l’éducation des filles au secondaire et à améliorer les conditions dans les écoles pour en faire des lieux plus sûrs, plus accueillants et plus adaptés pour les filles. C’est un défi colossal mais important à relever, malgré le spectre de la COVID-19.
À l’instar du gouvernement du Canada, la CTF/FCE croit que soutenir l’égalité des genres et l’autonomisation des femmes et des filles est la meilleure façon de bâtir un monde plus pacifique, plus inclusif et plus prospère. Nous en sommes convaincus, les femmes et les filles peuvent être des agentes du changement et améliorer leur vie et celle des membres de leurs familles, de leurs communautés et de leurs pays quand elles ont des chances égales d’apprendre et de prendre des décisions.
Possibilités en pleine crise
Simameni est un projet mené en collaboration avec notre partenaire de longue date, le Uganda National Teachers’ Union (UNATU). Lorsque le gouvernement ougandais a fermé toutes les écoles, renvoyant à la maison des millions d’étudiantes et d’étudiants en mars, le UNATU et la CTF/FCE ont compris que le projet venait instantanément de gagner en importance.
En Ouganda, l’apprentissage à distance et en ligne est en soi déjà compliqué par le manque de connexion à Internet, mais les programmes parascolaires font aussi cruellement défaut. Par conséquent, les élèves sont incapables de prendre part à des activités pendant que les écoles sont fermées. Puisque le personnel enseignant et les élèves ne peuvent se voir en personne, bien des élèves n’ont d’autre option, pour poursuivre leur apprentissage, que de suivre les cours offerts à la radio.
Malgré les difficultés, cette situation a aussi donné à l’équipe de Simameni l’occasion de faire preuve de créativité, de trouver d’autres façons de s’adapter à la nouvelle normalité et d’atteindre ses objectifs en recourant à des stratégies différentes. Grâce à ces solutions de rechange, le projet Simameni – nous sommes heureux de l’annoncer – va de l’avant malgré la pandémie!
Au début de septembre, des collègues du UNATU ont profité de la réouverture prudente du pays pour rencontrer des dirigeantes et dirigeants des milieux religieux, communautaire, politique et éducatif, de même que pour tenir des réunions dans les deux régions visées par le projet Simameni, soit les régions de Teso et de l’Ouest. Ensemble, ils s’efforcent de trouver des moyens d’atteindre les objectifs du projet.
Le temps est venu d’agir
L’accès à l’école et la persévérance scolaire sont déjà difficiles pour les enfants vulnérables, en particulier les filles, en temps normal. Le confinement à la maison signifie non seulement que les filles et les jeunes femmes n’ont pas accès à l’école, à un lieu sûr et à l’éducation, mais aussi qu’elles sont exposées à des risques accrus de violence familiale et de violence sexuelle. Les grossesses survenues durant la pandémie auront un effet à long terme en créant des obstacles permanents pour les filles une fois la crise terminée. Qui plus est, depuis mars, les services de santé concentrent leurs efforts sur la lutte contre la COVID-19, et non sur la santé en matière de sexualité et de reproduction, si bien que les adolescentes et les jeunes femmes courent des risques encore plus grands.
La pandémie a montré également que dans de nombreuses sociétés, y compris en Ouganda, ce sont les femmes et les filles qui assument la majorité du travail non rémunéré – tâches domestiques, garde des enfants et soins de santé –, situation qui s’est exacerbée lorsque les écoles et les lieux de travail ont fermé, et que les gens ont été confinés à la maison. Ce contexte a accru leur exposition et leur vulnérabilité au virus.
Bien qu’il soit difficile de prédire les répercussions à long terme de la pandémie sur l’accès des filles à l’éducation et à l’apprentissage, nous savons déjà que les pertes seront importantes et les taux de décrochage, supérieurs. Même avant la crise, nous étions loin de l’égalité des genres dans l’éducation. Plus la pandémie de COVID-19 persistera, plus l’écart se creusera. Puisque la COVID-19 a rendu le retour prochain des filles en classe très incertain et complexe, le projet Simameni est plus important que jamais.