L’éducation publique : Le fondement de la démocratie
Avant de devenir présidente de la National Education Association (NEA), j’étais enseignante de 6e année en Utah.
J’étais cette enseignante qui passait ses étés à réfléchir à ce qu’elle allait afficher sur les murs de sa classe et à la manière dont elle aménagerait l’environnement de ses élèves pour les amener à ouvrir leur esprit. Je passais des semaines à me demander ce que je pouvais faire pour que mes élèves, alors en 6e année, deviennent plus tard des adultes prêts à contribuer, chacune et chacun à sa façon, à la société.
Car c’est ce que nous, enseignantes et enseignants des écoles publiques, faisons! Nous offrons une éducation de qualité à chaque enfant, peu importe sa race, sa religion, son origine ethnique, son genre, son code postal ou le salaire de ses parents.
Nous aidons les élèves à comprendre pourquoi ils doivent bâtir activement l’avenir de leur pays, et non se contenter d’observer les choses à distance, sans rien dire. Nous leur enseignons à faire preuve d’esprit critique et de curiosité, et à poser des questions difficiles. Nous contribuons à jeter les bases sur lesquels ces jeunes s’appuieront, une fois devenus adultes, pour élire leurs dirigeantes et dirigeants. Nous les aidons à développer la capacité de cerner le moment où des changements sont nécessaires. Et nous les aidons à développer la confiance dont ils ont besoin pour apporter ces changements.
Stuart Wexler, membre de la NEA, enseigne un cours avancé sur les affaires gouvernementales et la politique à la Hightstown High School, dans l’État du New Jersey. Il a enseigné à ses élèves une chose qui, selon moi, leur a permis d’acquérir une compréhension inestimable de la valeur de l’éducation publique et de la démocratie.
En 2015, Stuart Wexler a discuté avec sa classe de l’attentat à la bombe que des suprémacistes blancs avaient perpétré en 1963 contre une église baptiste à Birmingham, en Alabama, tuant quatre jeunes filles afro-américaines de 14 ans. La classe a également parlé du fait que la condamnation des auteurs de l’attentat, près de 40 ans plus tard, avait pu être prononcée grâce aux preuves découvertes par un journaliste. Stuart Wexler leur a alors expliqué qu’en 2015, une centaine de crimes contre les droits civiques demeuraient non résolus, précisant que ces crimes avaient fait l’objet d’enquêtes par le département de la Justice des États-Unis, mais que, comme un grand nombre des témoins et des auteurs présumés étaient morts, le département avait clos les dossiers.
Ce cours a déclenché une vive réaction chez les élèves, qui ont rédigé un projet de loi, communiqué avec un procureur fédéral pour lui demander son appui, rencontré des membres du personnel du Congrès, à Washington, et trouvé des personnes prêtes à coparrainer leur projet de loi. En 2017, le procureur fédéral a été élu au Sénat des États-Unis et a présenté le projet de loi des élèves. Le Congrès l’a adopté en décembre dernier, et le Civil Rights Cold Case Records Collection Act est entré en vigueur en janvier. Quand quelqu’un me demande pourquoi l’éducation publique et la démocratie sont importantes, je lui parle de Stuart Wexler et de ses élèves avant-gardistes et défenseurs de la justice.
Récemment, j’ai dû admettre avoir tenu pour acquis que, dans une société démocratique et ouverte, l’arc moral de l’univers tendrait toujours vers la justice, que les États-Unis continueraient de trouver des moyens de mieux inclure les personnes auparavant exclues, d’ouvrir des possibilités aux plus démunis et de découvrir plus de façons d’apprécier la diversité des cultures, des langues et des races présentes dans notre pays, ainsi que nos communautés allosexuelles.
J’ai été forcée de reconnaître qu’il y a encore des personnes déterminées à ramener les États-Unis à une époque où les gens savaient où était leur place : quand les femmes servaient le café aux hommes, quand les gens de couleur s’assoyaient à l’arrière de l’autobus et quand les personnes allosexuelles tremblaient de peur dans de sombres placards. Je ne tiens maintenant plus rien pour acquis. Au contraire, je sais sans l’ombre d’un doute que, pour que l’arc moral de l’univers tende vers la justice, il faut que nous y mettions toute notre énergie.
Nous, enseignantes et enseignants des écoles publiques américaines, nous efforçons de promouvoir la justice en éducation et affirmons, sans équivoque, que nous n’avons que faire de celles et ceux qui répondent à notre dévouement par l’indifférence (par des compressions répétées dans les programmes scolaires et le financement de l’éducation, une augmentation de l’effectif des classes, des salaires éternellement bas et une attitude généralement peu respectueuse).
Au début de l’année dernière, les enseignantes et enseignants de l’État de la Virginie-Occidentale ont organisé un débrayage historique qui a déclenché le mouvement national #RedforEd, mouvement qui s’est rapidement étendu à des États où les écoles survivaient de peine et de misère à dix années de compressions budgétaires. Et ils n’ont pas marché seuls. Des milliers de parents et de membres de la communauté se sont joints à eux. Tout à coup, des politiciens et politiciennes de partout les ont écoutés. Ils voulaient discuter!
L’élan s’est maintenu jusqu’aux élections de mi-mandat, à l’automne. Les enseignantes et enseignants ont contribué à faire élire des candidates et candidats proéducation — dont de nombreux anciens membres de la profession enseignante — dans tous les ordres de gouvernement. Nous avons aussi élu des gouverneurs et gouverneures proéducation dans sept États, et plus d’un millier d’enseignantes et enseignants ont été élus aux paliers local, étatique et fédéral d’un bout à l’autre du pays.
L’année 2020 approche et nous savons que Donald Trump doit être défait. Être démocrate, c’est respecter les droits d’autrui et compter sur le fait que chaque membre de la société assumera sa responsabilité de travailler avec les autres, de faire preuve d’honnêteté, de se tenir au courant des questions importantes et d’exercer son droit de vote. Les élèves méritent d’avoir un pays dirigé par un président ou une présidente qui respectera notre démocratie au lieu de la détruire.
Et je suis convaincue que quelque chose de gros se prépare. Cette année, la présidente de la Chambre des représentants Nancy Pelosi m’a invitée personnellement à assister au discours de Donald Trump sur l’état de l’Union. En tant qu’enseignante, je représentais l’un des groupes — parmi plusieurs — auxquels l’administration Trump a manqué de respect et que la présidente de la Chambre voulait faire sortir de l’ombre.
Avant le fameux discours, une réception donnée par Nancy Pelosi avait réuni un grand nombre de sénateurs et sénatrices, d’activistes et de dirigeants et dirigeantes que j’avais vus à la télévision. Une femme s’est approchée de moi en souriant et m’a dit « Lily! J’ai toujours voulu vous rencontrer! ». Au milieu de tous ces gens puissants, je ne l’ai pas reconnue tout de suite et j’ai un peu paniqué. Puis, j’ai vu qu’elle portait un plateau rempli de vaisselle sale.
Je lui ai dit « vous êtes l’une de mes enseignantes, n’est-ce pas? Ceci est votre deuxième travail? ». Le sourire aux lèvres, elle m’a répondu « non, c’est mon troisième ». Evelyn Fabito est la personne la plus importante que j’ai rencontrée à la réception. Membre de la NEA, elle enseigne dans une école publique à l’extérieur de Washington. « Je travaille souvent dans ce genre d’évènement, m’a-t-elle expliqué, mais ce soir, je vois toutes ces personnes importantes et je vous vois, vous, ici, la présidente de la NEA. Je sais qu’il va se passer quelque chose de gros. »
Ses paroles me sont allées droit au cœur. Pas question que je la laisse tomber! Il va se passer quelque chose d’important en 2020, et les trois millions de membres de la NEA seront aux commandes.
Nous utiliserons notre pouvoir collectif pour protéger notre démocratie. Pendant des générations, les enseignantes et enseignants ont bâti l’avenir de ce monde dans lequel nous vivons. Nous sommes maintenant prêts à récupérer et à rétablir la boussole morale et éducative à l’échelle mondiale. Nous sommes prêts à prendre les rênes. Nous sommes prêts à montrer la voie à suivre afin que chacun et chacune de nos élèves sache ce qu’est vraiment la démocratie.
Lily Eskelsen García est la présidente de la National Education Association (NEA).