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La violence dans les écoles au Canada

| Éducation publique, Profession enseignante, Santé mentale, Violence

Cet article a été rédigé par Bo-Ning Gao, étudiante en maîtrise à l’École de journalisme de l’Université Carleton. 

« La violence à l’école est de plus en plus répandue », explique Preston Huppie, enseignant et membre du Comité consultatif de l’éducation autochtone de la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants (CTF/FCE). Dans le témoignage qu’il a livré pour la série balado ABSENCES de la CTF/FCE, il explique que le fait d’avoir des élèves qui ont de la difficulté à gérer leurs émotions en classe lui donne l’impression d’enseigner en « marchant sur des œufs ». 

Ce sentiment est partagé par bien des membres du corps enseignant. Crises de colère, coups, morsures et crachats, la violence à l’école est devenue au Canada un grave problème qui touche au quotidien les enseignantes et enseignants sur le terrain. La CTF/FCE s’est entretenue à ce sujet avec des membres du milieu de l’éducation de tout le pays. Beaucoup lui ont dit se sentir continuellement sur les nerfs, craindre pour leur sécurité et avoir du mal à offrir un cadre stimulant à leurs élèves en raison de la hausse du nombre d’incidents violents. 

La violence à l’école au Canada 

La violence à l’école s’entend des actes violents, des agressions et du harcèlement qui se produisent en milieu scolaire. 

En 2018, la CTF/FCE avait effectué une revue des études sur la violence dans les écoles découlant des résultats de sondages menés auprès de plus de 40 000 enseignantes et enseignants dans tout le pays. Environ 80 % des personnes interrogées estimaient que la violence s’était accrue au cours de leur carrière. 

Selon une étude de l’Université d’Ottawa, plus de la moitié des enseignantes et enseignants de l’élémentaire en Ontario avaient subi au moins un acte de violence durant l’année scolaire 20172018. 

Menée auprès de membres de la Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario (FEEO) par Darcy Santor (Ph. D.) et Chris Bruckert (Ph. D.), cette étude avait aussi révélé que le taux de violence à l’encontre du personnel de l’éducation s’était multiplié par presque sept en quinze ans. 

Dans la série ABSENCES, Chris Bruckert explique qu’en tant que criminologue, elle a tendance à attribuer l’augmentation des taux à une hausse du nombre de signalements ou encore à une exagération des médias. Mais dans le cas présent, il semble que l’augmentation soit réelle et qu’elle se poursuive à un rythme effréné.  

Pour couronner le tout, la recherche indique que ces données alarmantes ne représenteraient que la pointe de l’iceberg. 

Darcy Santor et Chris Bruckert ont lancé en 2018 un projet pour lutter contre le harcèlement et la violence visant le personnel de l’éducation (le Harassment and Violence Against Educators Project). Ce projet a jusqu’à présent permis de sonder plus de 1 500 enseignantes et enseignants de l’élémentaire (en particulier des membres de la FEEO), et plus de 3 000 travailleurs et travailleuses du milieu de l’éducation membres du Syndicat canadien de la fonction publique (SCFP). Le chercheur et la chercheuse ont ainsi pu constater que, dans bien des cas, les membres du personnel de l’éducation ne signalent pas les incidents violents, et ce, pour différentes raisons. 

Comme l’explique Darcy Santor dans ABSENCES, un enseignant ou une enseignante pourrait par exemple se dire que l’incident n’est pas assez grave, que la direction ne lui fournira aucun soutien ou qu’un signalement ne changera rien. D’ailleurs, la moitié des personnes interrogées ont déclaré ne pas avoir signalé les incidents les plus graves vécus au cours de leur carrière dans l’enseignement. 

L’Ontario n’est pas un cas isolé. En 2023, le Baromètre international de la santé et du bien-être du personnel de l’éducation (I-BEST) a révélé qu’au cours des 12 mois précédents, 40 % des personnes interrogées au Canada avaient déclaré avoir été victimes de violence sur leur lieu de travail, soit le plus haut taux enregistré parmi les pays participants (la France, l’Espagne, le RoyaumeUni, la Suisse, la Belgique, l’Argentine, le Maroc, le Cameroun et le Japon, en plus du Canada). 

Quelles sont les conséquences pour le corps enseignant? 

La violence à l’école a de graves répercussions.  

Dans ABSENCES, Chris Bruckert affirme que la violence se répercute sur tous les aspects de la vie des enseignantes et enseignants. Plus on subit de violence et de harcèlement, plus la santé mentale et physique en pâtit, et plus on a de difficulté à bien faire son travail. 

D’autres études parviennent à la même conclusion. 

Kristen Ferguson (Ph. D.) et Melissa Corrente (Ph. D.), deux chercheuses du Healthy Professional Worker Partnership, ont constaté que les membres du personnel de l’éducation ayant subi des violences étaient deux fois plus susceptibles de déclarer avoir un problème de santé mentale.  

Pour se remettre de la violence subie, bon nombre d’enseignantes et enseignants partent en congé (de maladie ou autre). Certaines personnes finissent par envisager de se réorienter. Kristen Ferguson explique qu’en menant leur étude, sa collègue et elle ont constaté que le fait d’être victime de violence au travail et d’avoir des problèmes de santé mentale incitait les gens non seulement à quitter une organisation comme un conseil scolaire ou une école, mais aussi à faire une croix sur la profession. C’est ce qu’elle appelle « les ramifications de la violence à l’école ». 

Comment cette violence s’explique-t-elle? 

Tout cela n’est pas le fruit du hasard ni d’incidents isolés. 

En 2024, l’Alberta Teachers’ Association a publié un rapport indiquant que les comportements agressifs à l’école avaient augmenté à la suite de la pandémie. Bien que la pandémie ne soit en effet pas étrangère au problème, cette escalade s’explique aussi en partie par des divisions sociales de plus en plus marquées, une utilisation accrue des réseaux sociaux et une diminution du degré d’intelligence socio-émotionnelle et de maturité chez les élèves, ce qui réduit le niveau d’empathie et de conscience sociale. 

Selon Darcy Santor, les élèves ont recours à la violence lorsqu’ils n’ont pas encore appris à gérer leurs émotions. 

En tant que psychologue, il explique que la plupart des cas d’agression observés ou vécus sont le fruit de la frustration ressentie par les enfants qui ne sont pas correctement outillés pour y faire face de façon adéquate. 

Sur le terrain, les enseignantes et enseignants en ont bien conscience, mais n’ont la plupart du temps pas assez de ressources pour répondre aux besoins des élèves. Selon les sondages menés par Darcy Santor et Chris Bruckert, plus de 70 % des membres du personnel de l’éducation ont demandé à recevoir une formation et des ressources supplémentaires sur les compétences d’apprentissage socio-émotionnel pour aider les enfants à gérer leurs frustrations. 

Heidi Yetman, présidente de la CTF/FCE, croit quant à elle que la cause première de la violence à l’école est le manque de financement : « En fin de compte, le problème vient du fait que le système n’est pas correctement financé. » 

L’action politique de la CTF/FCE 

« J’ai vraiment peur de ce qui se passera dans cinq ou dix ans si on ne prend pas de mesures draconiennes », confie Chris Bruckert. 

À l’heure actuelle, bon nombre de spécialistes et de membres de la profession s’accordent à dire que les travailleurs et travailleuses du milieu de l’éducation doivent bénéficier d’une protection juridique leur permettant d’intervenir physiquement pour assurer leur sécurité et celle des élèves.  

L’article 43 du Code criminel du Canada permet aux enseignantes et enseignants d’avoir dans certains cas recours à la force, pourvu qu’elle ne dépasse pas la mesure raisonnable compte tenu des circonstances. Il existe de nombreux cas de figure où c’est nécessaire. Preston Huppie raconte par exemple qu’il a dû arpenter la cour d’école, la ruelle, la rue passante et même d’autres quartiers pour ramener des élèves qui s’étaient enfuis de l’établissement. 

La CTF/FCE estime qu’il est important qu’une protection juridique soit enchâssée dans le Code criminel du Canada afin de garantir la sécurité des élèves et du personnel enseignant à l’école. Les enseignantes et enseignants du Canada ne bénéficieront pas de la protection juridique requise pour intervenir en cas de problème si l’article 43 est abrogé sans autre modification. Alors que le gouvernement fédéral se penche sur l’article en question, la CTF/FCE milite pour qu’une modification soit apportée ailleurs dans le Code criminel

« Nous demandons que l’article 43 soit abrogé, mais que le Code criminel soit par ailleurs modifié pour y inclure des protections pour les enseignantes et enseignants, explique Heidi Yetman. Au cours des 16 derniers mois, nous avons rencontré plus d’une quinzaine de parlementaires pour proposer une modification du Code criminel. Nous espérons que ces échanges leur permettront de mieux comprendre notre position et de faire ce qu’il faut pour que le Code criminel soit modifié afin de protéger le corps enseignant et les élèves. » 

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