La bienveillance en français
Le thème de ce numéro de Perspectives est « Des écoles sécuritaires et bienveillantes ». Il ne fait aucun doute que la notion d’école sécuritaire transcende les questions linguistiques : tous les élèves doivent se sentir en sécurité, en tout temps. Sur ce plan, les écoles, qu’elles dispensent l’enseignement en anglais ou en français, vivent donc sensiblement les mêmes réalités.
Pour les écoles de langue française en contexte minoritaire canadien, la bienveillance comporte cependant une dimension qui lui est bien particulière.
À l’échelle planétaire, nous vivons une période de grands bouleversements politiques qui s’accompagnent d’un climat social inquiétant. Les minorités, en général, sont une cible facile quand il s’agit de sabrer dans les dépenses puisque leur voix a souvent moins de poids auprès des élus. Or, les communautés francophones minoritaires canadiennes vivent depuis les dernières semaines une série d’attaques[1] qui donnent raison à ceux qui martèlent qu’il ne faut jamais rien tenir pour acquis en francophonie.
Et la bienveillance dans tout ça? Quand il s’agit du personnel enseignant des écoles de langue française, vouloir le bien de ses élèves dépasse largement le cadre scolaire. Vouloir le bien de ses élèves, c’est vouloir leur assurer toutes les chances de vivre en français au-delà des frontières de la cour de récréation et au-delà du diplôme de fin d’études secondaires. C’est aussi souhaiter pour eux un avenir où ils vivront fièrement cette culture dans laquelle ils ont baigné pendant toutes ces années.
Le double mandat de l’éducation en français dont il est souvent question prend tout son sens dans la réalité actuelle. Au-delà de la mission éducative des écoles, aucun membre du personnel enseignant des écoles franco-ontariennes ne peut rester indifférent aux reculs qu’on tente d’imposer à sa communauté et aux conséquences que ces décisions auront pour les prochaines générations, celles de leurs élèves.
C’est ainsi que le personnel enseignant des écoles de langue française s’est retrouvé à devoir expliquer à ses élèves une dure réalité, animer des discussions délicates sur l’avenir de la communauté francophone et, par un samedi de décembre frisquet, brandir sa pancarte lors d’une manifestation de solidarité. Tout ça, bien entendu, en faisant appel à son cœur beaucoup plus qu’au programme d’études.
Par bienveillance, le personnel des écoles de langue française prend position sur une question de survivance. Nous ne sommes pas si loin de la bataille des épingles à chapeaux[2]. Si l’histoire se répète, elle semble se répéter plus souvent en français.
[1] Parmi les principales attaques, on note que le gouvernement Ford de l’Ontario a aboli le Commissariat aux services en français et le projet d’une université de langue française. Le Nouveau-Brunswick vit de nouvelles tensions linguistiques depuis l’arrivée d’un nouveau gouvernement, tandis que le Québec révise de façon maladroite la gestion du Centre de la francophonie des Amériques, organisme d’appui aux communautés minoritaires francophones.
[2] En 1916, des mères d’élèves de l’École Guigues d’Ottawa ont défendu l’enseignement en français face à des policiers au moyen d’épingles à chapeaux.
Ronald Boudreau est l’ancien directeur du Programme pour la francophonie de la FCE-CTF.