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Écoles de langue française : une crise d’adolescence?

| Francophonie

Cette fin de semaine-là, j’avais décidé de passer un peu de bon temps avec ma cadette qui vit encore à Halifax, le milieu où elle est née, la métropole où j’ai commencé à enseigner et où j’ai habité pendant près de 25 ans.

Un vol direct après le travail m’y conduit donc et j’arrive à la brunante. Comme j’ai quitté l’endroit depuis une dizaine d’années, je pense m’y retrouver assez facilement et je file vers le pont MacKay en oubliant qu’on a construit le gros complexe commercial Dartmouth Crossings depuis et que la sortie a été modifiée. Je la rate, mais qu’à cela ne tienne, je tournerai à droite sur Victoria Road et j’irai prendre le pont plus loin. Je me souviens vaguement que cette sortie n’était pas facile à repérer et je passe allégrement devant le tout petit écriteau qui annonce la sortie. En maugréant un peu, je me dis que je vais me rendre directement à l’entrée du pont en empruntant Windmill Road. C’est ainsi que le hasard – ou le destin – m’a amené à l’endroit même où j’ai commencé à enseigner, la petite École francophone Shannon logée pratiquement sous le pont MacKay qui continuait de vouloir se défiler.

Quand je suis finalement arrivé chez ma fille, elle m’a demandé tout bonnement ce que j’aimerais faire le lendemain. La réponse était toute prête : « Je veux retourner là où tout a commencé. »

Ronald Boudreau

Le lendemain matin, nous étions devant la petite école, située sur une base militaire, où j’ai commencé à enseigner dans une classe de 2e année. C’était en 1981, un an avant l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés. Les enfants que nous y accueillions alors provenaient tous de familles militaires, en grande majorité francophones. Avant même que le concept existe, nous disposions de classes qui avaient pour mandat de mettre à niveau les élèves qui ne parlaient pas français : des locaux avec un nombre restreint d’élèves et des enseignantes extraordinaires formées pour développer le langage des enfants. Il importe de mentionner que jusqu’alors, les Forces armées canadiennes subventionnaient cette école qui était au service de leurs membres francophones. Nous disposions de fonds pour le matériel pédagogique, pour notre développement professionnel et pour assurer que les élèves ne manquaient de rien. Certains pourront penser que c’était l’école idéale; je dirai que c’était l’école comme elle devrait être.

Avec l’avènement de la Charte en 1982, un financement fédéral en appui à l’éducation dans la langue de ma minorité est apparu. Les Forces armées y ont vu une occasion de se départir de leurs écoles de langue française pour les remettre aux soins des autorités régionales afin que la mission se poursuive : ce qui était bon pour les militaires francophones l’était aussi pour l’ensemble de la population qui parlait cette langue, n’est-ce pas? La gestion de l’École francophone Shannon a été confiée au Dartmouth District School Board, un conseil anglophone qui se demandait sans doute ce qui venait de lui tomber dessus…

La petite école est ainsi devenue publique et quand on a appliqué les critères de la Charte[*] à l’admission des enfants, elle s’est mise à déborder de toute part, le nombre d’élèves en besoin de francisation est devenu nettement trop important pour ses capacités, les « roulottes » sont arrivées. Bref, le succès de l’école de langue française amenait une série de problèmes auxquels personne n’était prêt à faire face.

Ce sont les parents qui ont pris les choses en main. J’ai eu la chance d’être désigné par mes collègues du personnel enseignant sur un comité qui aurait le mandat de trouver des solutions. C’est ainsi qu’a commencé mon engagement sur la scène nationale où j’ai pu prendre conscience que la réalité de notre milieu était celle de milliers d’autres francophones de partout au pays, aux prises avec les mêmes difficultés. Le comité s’est vite donné un mandat clair en deux volets : obtenir une nouvelle école et assurer la gestion de celle-ci par la communauté francophone.

Notre première rencontre avec le ministre de l’Éducation de l’époque reste encore aujourd’hui marquée dans ma mémoire. Nous étions deux ou trois représentants de la communauté acadienne, quelque peu intimidés par le décorum du bureau du ministre. Devant nos doléances, la réponse catégorique du ministre est tombée comme un couperet : « If those are the rights of the minority, you will get exactly what the Anglophones of the province of Quebec are getting : not more, not less. »[1]

Il était difficile de réprimer un fou rire. Le ministre venait de nous offrir sur un plateau d’argent un système complet d’éducation publique comprenant des conseils scolaires fondés sur une base linguistique et un réseau universitaire bien établi! Sans vouloir insinuer que la communauté anglo-québécoise n’a pas de défis, ses établissements et ses structures feront encore longtemps l’envie des francophones des provinces et des territoires où le français est la langue de la minorité.

Si je raconte cet épisode de ma démarche pour que soient reconnus les droits – et les besoins – des communautés francophones de tous les coins du Canada, c’est que je vois ces derniers temps des circonstances qui me désolent au plus haut point et qui me rappellent que de part et d’autre, tant chez nos autorités anglophones que chez nos dirigeants francophones, il est plus important que jamais d’être bien informé.

Plus de trente ans après l’adoption de la Charte canadienne des droits et libertés, après de nombreux jugements qui ont clarifié son application dans le contexte de l’éducation de la minorité, comment nous retrouvons-nous encore devant autant d’incompréhension de part et d’autre? Comment expliquer des crises internes entre communautés francophones et le conseil scolaire qui a le mandat de les représenter? Comment expliquer que des parents doivent encore traîner leur gouvernement provincial en Cour suprême pour offrir à leurs enfants une école comparable à celle du voisinage? Comment expliquer qu’on questionne les critères d’admission des enfants à l’école et qu’on n’a pas trouvé un terrain d’entente pour accueillir les enfants de familles immigrantes?

La gestion des écoles par la minorité francophone vit une crise existentielle. Au cours des dernières années, on a fêté un peu partout les quinze ou vingt années de gestion scolaire. De quels outils disposent les francophones qui doivent continuer d’expliquer leurs droits? De quels outils disposent les anglophones qui souhaitent bien comprendre la réalité de la minorité? De quels outils disposent les deux groupes pour engager un dialogue productif qui mènerait à des solutions réalistes et à des compromis acceptables qui tiennent compte du bien-être des élèves de nos écoles?

Une seule réponse s’impose : l’éducation. La solution doit cesser un jour ou l’autre d’être la confrontation ou le tribunal si nous voulons progresser et aller de l’avant. La Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants a toujours accordé un appui inconditionnel à l’éducation des minorités linguistiques, et ce depuis les tout premiers débuts de la reconnaissance de ces droits. Plus que jamais, elle souhaite continuer d’accorder cet appui : Qui embarque?


[*] 23. (1) Les citoyens canadiens :

a) dont la première langue apprise et encore comprise est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province où ils résident,

b) qui ont reçu leur instruction, au niveau primaire, en français ou en anglais au Canada et qui résident dans une province où la langue dans laquelle ils ont reçu cette instruction est celle de la minorité francophone ou anglophone de la province, ont, dans l’un ou l’autre cas, le droit d’y faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans cette langue.

(2) Les citoyens canadiens dont un enfant a reçu ou reçoit son instruction, au niveau primaire ou secondaire, en français ou en anglais au Canada ont le droit de faire instruire tous leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de cette instruction.

(3) Le droit reconnu aux citoyens canadiens par les paragraphes (1) et (2) de faire instruire leurs enfants, aux niveaux primaire et secondaire, dans la langue de la minorité francophone ou anglophone d’une province :

a) s’exerce partout dans la province où le nombre des enfants des citoyens qui ont ce droit est suffisant pour justifier à leur endroit la prestation, sur les fonds publics, de l’instruction dans la langue de la minorité;

b) comprend, lorsque le nombre de ces enfants le justifie, le droit de les faire instruire dans des établissements d’enseignement de la minorité linguistique financés sur les fonds publics.

— Article 23 de la Charte canadienne des droits et libertés

[1] Le ministre s’est plus tard ravisé et comme la plupart des francophones de l’époque, nous nous sommes retrouvés devant la Cour pour obtenir la gestion de nos écoles.


Ressources de la FCE et Comité consultatif de la diversité et des droits de la personne
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