Droit d’auteur et utilisation équitable : L’action politique menée pour défendre les intérêts de la profession enseignante et des élèves
Tandis que je réfléchis au thème de ce numéro de Perspectives, je me souviens d’un des premiers mentors que j’ai eus parmi mes professeures et professeurs, la particulièrement remarquable Ursula Kelly, Ph. D. (alors à la Faculté d’éducation de l’Université Saint Mary’s à Halifax et par la suite à l’Université Memorial à St. John’s). Entre autres, elle nous a appris tout le pouvoir d’un bon outil pédagogique dans les mains d’une enseignante ou d’un enseignant compétent. Elle s’est assurée de nous montrer comment utiliser les textes pour stimuler le questionnement, la pensée critique, la créativité et bien plus chez nos élèves et chez nous, enseignantes et enseignants en devenir.
Au fil d’années passées à enseigner et à travailler avec des collègues dans toutes sortes de milieux où les publications adaptées au contexte étaient rares (y compris dans diverses collectivités des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut, ainsi qu’à Dar es Salaam, en Tanzanie), je me suis souvent rappelée les conseils d’Ursula Kelly. Elle nous encourageait à ne jamais lever le nez sur un bon outil, mais plutôt à bien penser notre affaire pour amener les élèves à s’intéresser au texte par des activités significatives avant, pendant et après la lecture. Elle nous a appris que, bien souvent, il suffit d’un extrait pour éveiller l’intérêt des élèves et s’est assurée que nous sachions toujours rendre hommage aux auteures et auteurs. C’était là un parfait exemple d’utilisation équitable!
Le concept de l’« utilisation équitable » est important pour le personnel enseignant et les élèves. Même la Cour suprême du Canada a reconnu, dans un jugement rendu en 2012, qu’il est équitable pour le personnel enseignant de communiquer de « courts extraits » d’une œuvre protégée par le droit d’auteur ou d’en faire des copies pour leurs classes sans qu’il soit obligatoire qu’ils en achètent un exemplaire pour chaque élève. Ce jugement a amené le milieu de l’éducation à élaborer ses lignes directrices sur l’utilisation équitable afin d’aider le personnel enseignant et les élèves à mieux comprendre ce qu’il est possible de reproduire ou non pour une utilisation à des fins éducatives.
Les lignes directrices continuent d’être largement diffusées dans les écoles par les organisations Membres de la FCE, les ministères de l’Éducation, les conseils et commissions scolaires, les médias sociaux et la publication conjointe de la FCE et du Conseil des ministres de l’Éducation (Canada) [CMEC], Le droit d’auteur… ça compte! Peut-être avez-vous d’ailleurs vu ce livret à côté de la photocopieuse à votre école?
Malheureusement, les dispositions relatives à l’utilisation équitable de la Loi sur le droit d’auteur sont en péril. En effet, les maisons d’édition, les groupes d’auteures et auteurs, et l’organisation Access Copyright les dénoncent avec force.
Le président de la FCE, H. Mark Ramsankar, a récemment comparu devant le Comité permanent de l’industrie, des sciences et de la technologie de la Chambre des communes qui procède actuellement à l’examen de la Loi sur le droit d’auteur.
Il a exhorté le Comité de maintenir les dispositions sur l’utilisation équitable qui protègent de façon équilibrée les créateurs et créatrices, et les élèves. Entre autres, le président, qui parlait au nom des enseignantes et enseignants, a présenté les éléments suivants du principe directeur de la FCE à ce sujet :
« Les créateurs des œuvres originales ont le droit de toucher une rémunération raisonnable pour l’usage qui est fait de leurs œuvres et d’être protégés contre leur utilisation abusive ou le plagiat.
… La reproduction de matériel utilisé dans les écoles devrait être autorisée sans que cela constitue une violation du droit d’auteur, sous réserve de lignes directrices appropriées visant à protéger les intérêts légitimes des créateurs et des maisons d’édition.
… Une procédure simple devrait être mise en place pour faciliter la cession du droit d’auteur et la détermination de droits ou de redevances raisonnables, s’il y a lieu, par rapport au matériel utilisé à des fins scolaires. »
La FCE sait que l’atteinte au droit d’auteur est au cœur des préoccupations du personnel de l’éducation de tout le pays. Le secteur de l’éducation estime qu’il faut défendre vigoureusement les principes de clarté et d’équilibre dans la Loi sur le droit d’auteur de façon à éliminer les atteintes au droit d’auteur et à garantir à chaque élève, enseignante et enseignant un accès immédiat et équitable aux ressources.
La FCE sait aussi que le personnel enseignant et les autres travailleuses et travailleurs de l’éducation sont des professionnels qui respectent le droit d’auteur et enseignent ce respect à leurs élèves. De fait, bon nombre d’entre eux créent aussi du matériel pour leur classe, sans parler du fait qu’ils enseignent aux artistes canadiens de demain.
L’expérience nous dit que ce que les enseignantes et enseignants cherchent est une loi claire et que, face à l’incertitude, ils préfèrent ne pas courir de risque en matière de droit d’auteur. S’ils ont des doutes, ils ne font pas de photocopies et au grand jamais ils ne reproduisent de manuels entiers.
Les classes d’aujourd’hui n’ont plus grand chose à voir avec celles d’il y a dix ans. La technologie a ouvert de nouvelles possibilités. Tant les pratiques pédagogiques que le matériel utilisé en classe évoluent dans la foulée des changements apportés par Internet et les technologies numériques, et cette évolution est accélérée par l’utilisation de ressources éducatives libres et de systèmes d’apprentissage. Pendant les dix dernières années, le monde de l’éducation a très largement abandonné les publications imprimées, comme les manuels, au profit des publications numériques. Aujourd’hui, le personnel enseignant est mis au défi de trouver des façons nouvelles et efficaces d’enseigner au moyen de cette technologie en constante évolution. Il conçoit ses propres outils en profitant d’approches davantage axées sur la collaboration pour créer du contenu et amener les élèves à s’investir dans une plus grande mesure dans leur apprentissage par la voie des ressources en ligne.
En 2012, le gouvernement fédéral a modifié la Loi sur le droit d’auteur pour inclure l’« éducation » au nombre des utilisations visées par le principe de l’« utilisation équitable ». Cette approche donne aux enseignantes et enseignants ainsi qu’à leurs élèves la possibilité d’accéder au large éventail de ressources dont ils ont besoin. Ces enseignantes et enseignants et leurs organisations professionnelles voient dans l’actuelle Loi sur le droit d’auteur l’expression d’une bonne politique publique qui assure un équilibre important entre les droits des utilisateurs et utilisatrices et les droits des créateurs et créatrices. À ce propos, notons que l’Internationale de l’Éducation juge très bonne la loi canadienne en matière de droit d’auteur.
Au cours des prochains mois, la FCE continuera de défendre ce dossier avec ardeur, la même ardeur que celle qui continue d’animer, j’en suis sûre, Ursula Kelly dans son désir d’amener les enseignantes et enseignants en devenir à trouver leur voie vers l’excellence. Nos élèves ne méritent pas moins.
Enseignantes, enseignants! Vous souhaitez utiliser une œuvre protégée par le droit d’auteur? Servez‑vous de cet outil pour déterminer si cette utilisation est permise en vertu de la disposition relative à l’utilisation équitable. www.fairdealingdecisiontool.ca/DecisionTool/
(Cassandra Hallett est la secrétaire générale de la Fédération canadienne des enseignantes et des enseignants.)