De vénéré maître à guide-accompagnateur : l’évolution du rôle des enseignantes et enseignants
L’éducation au Canada a beaucoup progressé en 150 ans. Pour certaines personnes, le changement n’arrive jamais assez vite; pour d’autres, les changements perpétuels font obstacle aux vraies améliorations pour les élèves et le personnel enseignant. Je ne vais pas m’attarder ici à ce qu’était l’enseignement il y a 150 ans, mais je sais qu’en tant que femme et enseignante aujourd’hui, je peux être mariée et me trouver en compagnie de personnes du sexe opposé sans chaperon, je n’enseigne pas à des élèves de huit années différentes dans une même classe, mes élèves ne font pas des kilomètres à pied pour venir à l’école et… je n’ai pas besoin d’alimenter le feu dans le poêle à bois. Cela dit, en 35 ans d’enseignement, j’ai été témoin de nombreux changements touchant, par exemple, la mise en œuvre des programmes d’études, la formation pédagogique et l’utilisation de la technologie à l’école et en classe.
Heather Smith replonge dans ses souvenirs à côté d’une machine Gestetner exposée dans les locaux de l’Alberta Teachers’ Association.
Il est vrai que les districts scolaires et les écoles ont tenté de suivre le rythme des changements technologiques, même s’ils l’ont fait sans grands moyens financiers, sans beaucoup de soutien et pas toujours assez rapidement. Le papier carbone, les machines à écrire manuelles, puis électroniques, et les machines Gestetner ont laissé la place aux ordinateurs et aux iPads, et obligé les écoles à intégrer les technologies modernes. Au cours de ma carrière, les tableaux noirs ont été remplacés par les blancs, qui sont maintenant interactifs! Et nos élèves sont souvent les spécialistes de la technologie!
La formation pédagogique et l’expérience de l’enseignement ont changé elles aussi. Ma mère a suivi sa formation pédagogique vers la fin des années 1940, peu de temps après la fin de la Seconde Guerre mondiale. À l’époque, la pénurie d’enseignantes et enseignants était telle que ma mère a enseigné pendant tout un semestre dans une école de campagne d’une seule pièce avant même d’avoir suivi sa formation… d’une durée de six mois! J’ai enseigné avec des enseignantes et enseignants qui ont, pendant des années, consacré beaucoup de leurs soirées et de leurs étés à renforcer leurs compétences pour répondre à des exigences sans cesse croissantes. Au Canada aujourd’hui, la plupart des enseignantes et enseignants font au moins six ans d’études postsecondaires avant d’avoir la qualification requise pour enseigner. Et cela, en soi, contribue à renforcer le système d’éducation du Canada.
Quand j’ai commencé à enseigner au début des années 1980, mon travail de préparation consistait en grande partie à préparer manuellement les activités ou les documents qui allaient accompagner la leçon. Avec le recul, je me rends maintenant compte que j’en faisais alors davantage pour mes élèves de 4e année que ce que je faisais pour mes élèves de maternelle en 2015. Dans mes premières années, je suis devenue une fidèle utilisatrice de la machine Gestetner. Aussi ai-je été immédiatement replongée dans le passé quand j’en ai vu une dans les locaux de l’Alberta Teachers’ Association en mai dernier lors d’une visite. Je me souviens également de la frénésie, et de l’appréhension, qu’avait suscitées l’arrivée de la première photocopieuse dans notre petite école en milieu rural. Mes collègues et moi étions devenus des spécialistes de la résolution de problèmes à force d’essayer de dégager le papier coincé ou de faire redémarrer cette fichue machine quand elle tombait tout bonnement en panne. Si nous ne le faisions pas nous-mêmes, il fallait souvent attendre des jours avant qu’un technicien vienne la réparer. Si les écoles, comme je l’ai dit un peu plus tôt, ont tenté de suivre l’évolution des nouvelles technologies, les efforts déployés pour fournir une formation et un soutien suffisants n’ont pas toujours donné les résultats escomptés.
Ma manière d’enseigner a, elle aussi, certainement évolué en 35 ans! J’ai commencé par enseigner à lire et à écrire à mes élèves de 4e année à l’aide du programme obligatoire Ginn 360. Tout le monde suivait la même leçon et remplissait les mêmes pages du cahier d’exercices et de sons. Je peux aujourd’hui admettre que je ne savais pas vraiment dans quelle mesure mes élèves arrivaient à lire et à comprendre ce qu’ils lisaient. Quand j’ai enseigné à lire et à écrire à mes élèves en 2015, je savais non seulement si mes élèves lisaient bien ou non, mais également quels aspects de la lecture leur causaient des problèmes et quelles compétences ils devaient améliorer. Je travaillais avec les élèves individuellement, en petits groupes et en grand groupe selon les besoins que j’avais moi-même déterminés, et non selon des besoins déterminés par le rédacteur ou la rédactrice d’un quelconque manuel scolaire abstrait.
L’enseignante ou l’enseignant n’est plus le « vénéré maître » d’autrefois, mais le guide qui accompagne l’élève dans son apprentissage. Nous n’enseignons plus aux élèves quoi penser, mais comment penser… et nous leur enseignons à remettre en question certaines choses, avec respect… et à écouter les opinions des autres. Le travail individuel est parfois nécessaire, mais plus souvent qu’autrement, les élèves travaillent en collaboration. L’échange n’est plus toujours synonyme de tricherie. Au contraire, les élèves sont encouragés à échanger des idées et à chercher ensemble des solutions à des problèmes réels. Ils comprennent mieux lorsqu’ils travaillent avec leurs pairs et se remettent en question mutuellement.
« L’enseignante ou l’enseignant n’est plus le “ vénéré maître ” d’autrefois, mais le guide qui accompagne l’élève dans son apprentissage. Nous n’enseignons plus aux élèves quoi penser, mais comment penser… et nous leur enseignons à remettre en question certaines choses, avec respect… et à écouter les opinions des autres. »
Pendant les cinq premières années de ma carrière, je n’ai eu dans ma classe de 4e année aucun élève reconnu comme ayant des besoins particuliers. Il y avait dans mon école une classe d’enfants en difficulté dont la plupart avaient des déficiences cognitives. Certains de ces élèves se joignaient parfois à notre classe pour les cours d’éducation physique, de musique ou d’art, mais ils ne passaient pas du tout de temps dans ma classe. En 1987, le Nouveau-Brunswick a adopté une loi pour que les écoles de quartier et toutes les classes soient ouvertes à tous les enfants. Titulaire d’un baccalauréat en éducation de l’enfance en difficulté, je suis tout à fait en faveur de l’inclusion, mais je crains que le modèle d’inclusion d’aujourd’hui ne réponde pas aux besoins de tous les élèves. Il est vrai qu’il faut tout un village pour élever un enfant et cela est particulièrement vrai pour les enfants qui ont des besoins particuliers. Les enseignantes et enseignants ont besoin du soutien d’autres professionnelles et professionnels, d’autres membres du village, pour s’assurer que tous les élèves sont prêts à apprendre. Les services complets, ce n’est pas un luxe, c’est essentiel!
Je dois admettre que pendant une grande partie de ma carrière, je n’ai pas porté beaucoup d’attention à la FCE. Bien que ce soit aussi le cas de bon nombre d’enseignantes et enseignants aujourd’hui, je sais maintenant que la FCE m’a appuyée par l’intermédiaire de l’organisation Membre dont je fais partie, la NBTA, tout au long de ma carrière, et je l’apprécie. Par exemple, j’ai vu une différence dans mes prestations de maternité entre les naissances de mes deux premiers enfants, en 1984 et en 1987. J’ai également vu des changements concrets dans les domaines de la protection du personnel enseignant en vertu de l’article 43 du Code criminel du Canada et de l’utilisation équitable des œuvres protégées par le droit d’auteur en classe. Ces exemples ne sont que quelques-uns des résultats du travail qu’a accompli la FCE en mon nom au fil des ans.
Il y aura certainement beaucoup d’autres changements en éducation au cours des 150 prochaines années au Canada. Je suis convaincue que tout changement à venir aura plus de chance de réussir si les enseignantes et enseignants et leurs syndicats participent au processus d’élaboration du début à la fin au lieu d’y être simplement invités après coup. J’ai bon espoir que la prochaine génération d’enseignantes et enseignants, forte de ses convictions à l’égard de la justice sociale et des droits de la personne, s’assurera que les élèves non seulement possèdent les connaissances dont ils ont besoin, mais également qu’ils comprennent qu’ils font partie d’une communauté élargie à l’égard de laquelle ils ont une responsabilité commune.