Ballon-chasseur et drapeau blanc : les enseignantes et enseignants manitobains, Omicron et l’apprentissage en présentiel
Anne Bennett, chef de département responsable des communications et des relations à la Manitoba Teachers’ Society (MTS), met en lumière la situation au Manitoba ainsi que les conséquences de la pandémie de COVID-19 et de l’absence de transparence du gouvernement pour le personnel enseignant et les élèves des écoles publiques.
Le lundi 17 janvier, tandis qu’Omicron faisait rage et que le nombre de cas grimpait en flèche, les enseignantes et enseignants des écoles publiques du Manitoba — tout comme leurs collègues du Québec, de l’Ontario et de la Nouvelle-Écosse — retournaient à l’enseignement en classe après un congé des fêtes prolongé.
À leur réouverture, les écoles sont passées au niveau orange du système provincial de réponse à la pandémie, qui exige une distanciation physique de deux mètres « dans la mesure du possible ». Ce niveau exige aussi que les enseignantes et enseignants portent un masque de qualité médicale, mais les autorités ne sont pas allées jusqu’à exiger le masque N95. Les activités parascolaires sont permises, sauf les tournois et les voyages comportant une nuit ou plus à l’extérieur.
Au moment de la rédaction du présent texte, le nombre de cas quotidiens au Manitoba continue de dépasser 2 500 et le taux de positivité frôle les 50 %. Les résultats des tests de dépistage de la COVID sont retardés et devraient continuer de se faire attendre, alors que le personnel scolaire pourrait devoir se mettre en quarantaine au cours des prochaines semaines, exerçant ainsi une pression supplémentaire sur les niveaux de dotation, déjà insuffisants avant la pandémie.
Pendant que les enseignantes et enseignants se préparent, les responsables de la santé nous préviennent qu’il faudra s’attendre à d’autres hausses de cas de COVID. Les Manitobaines et Manitobains n’ont qu’à regarder à côté, en Saskatchewan, où les éclosions en milieu scolaire se multiplient, pour voir ce qui les attend.
Et nos responsables gouvernementaux, qu’en disent-ils?
En conférence de presse le 13 janvier, le ministre de l’Éducation du Manitoba, Cliff Cullen, et le médecin hygiéniste en chef de la province, le Dr Brent Roussin, ont annoncé une nouvelle approche de la gestion de la COVID en disant qu’il faut « vivre avec le virus ». Le Dr Roussin a dit aux parents qu’ils doivent s’attendre à une flambée des cas dans les écoles au cours des prochaines semaines, en ajoutant qu’il faudra désormais « gérer le risque plutôt que de chercher à l’éliminer ».
« Nous devons apprendre à vivre avec le virus », a repris la première ministre Heather Stefanson. Et pour elle, « apprendre à vivre avec le virus » signifie retourner en classe en espérant que tout ira pour le mieux : une pilule difficile à avaler pour les plus de 16 000 enseignantes et enseignants des écoles publiques du Manitoba qui se préparent à retourner aux premières lignes de l’exposition à la COVID.
Sans se laisser décourager par l’approche du gouvernement, qui a choisi d’agiter le drapeau blanc en signe d’abandon devant les réalités de la pandémie, la MTS a redemandé à la Province de régler les problèmes de dotation en personnel, de fournir l’équipement de protection individuelle nécessaire, y compris des masques N95, et d’améliorer les systèmes de ventilation, souvent vétustes, des écoles.
En réponse, le ministre Cliff Cullen cherche à calmer les esprits en affirmant que des dépenses d’environ 63 millions de dollars permettront de vivre plus facilement avec la COVID. Le président de la MTS, James Bedford, est peu convaincu.
James Bedford veut savoir exactement comment les écoles, qui étaient incapables de faire respecter les règles de distanciation physique avant les fêtes, pourront le faire maintenant. Qu’est-ce qui a changé, demande-t-il, entre la mi-décembre et le 17 janvier, pour assurer la sécurité des élèves et du personnel.
[Traduction libre] « On nous dit que, malgré la hausse fulgurante du nombre de cas, les écoles sont sécuritaires. On nous dit que le gouvernement a investi beaucoup d’argent pour les rendre sécuritaires. Si c’est bien le cas, alors il faut nous dire ce qui a été fait. Comment les écoles peuvent-elles faire respecter la distanciation recommandée? En quoi les membres du personnel enseignant et les élèves sont-ils moins vulnérables maintenant, malgré la vétusté des systèmes de ventilation? Les enseignantes et enseignants réussiront-ils à obtenir leurs résultats de test assez rapidement de sorte que les classes ne se retrouvent pas sans personnel? Dites-le-nous. »
N’ayant obtenu aucune réponse à ses questions, la MTS a déposé une demande d’information en vertu de la Loi sur l’accès à l’information et la protection de la vie privée afin de savoir qui a reçu des fonds et comment ces fonds ont été dépensés.
[Traduction libre] « Soyons clairs, ajoute James Bedford. Les enseignantes et enseignants veulent retourner en salle de classe. Les élèves et leurs familles veulent également un retour en classe. Et la MTS veut que ses membres retournent en classe. Nous savons que le meilleur apprentissage est celui qui se fait en personne, à l’école. Mais ce retour doit se faire en toute sécurité. Nous n’exigerons rien de moins qu’une transparence et une reddition de compte exemplaires de la part de ce gouvernement. »
Dans tout le pays, les associations d’enseignantes et enseignants ont senti l’impact que la pandémie de COVID-19 a eu sur leur travail, sans parler de l’autre pandémie, celle de la détérioration de la santé mentale. La charge physique et émotionnelle de l’incertitude persistante s’est alourdie, drainant l’énergie et la créativité inhérente aux enseignantes et enseignants pour faire place à la tristesse et à la fatigue. Et les directeurs et directrices d’école ne sont pas en reste. Ils sont la cible de la partie de ballon‑chasseur quotidienne qui les oblige à répondre aux ordonnances de santé publique toujours changeantes, aux préoccupations du personnel et aux communications des parents.
D’autres thèmes sont communs à l’ensemble du Canada, par exemple l’incohérence des directives gouvernementales, l’épuisement professionnel, le manque d’enseignantes et enseignants suppléants et d’équipements de protection individuelle, l’impossibilité de respecter en tout temps les règles de distanciation physique (ce qui oblige parfois le personnel à enseigner dans deux ou trois salles de classe en même temps), l’inefficacité des modèles d’apprentissage hybrides et la fatigue accumulée des collègues, des élèves et des familles face aux consignes sanitaires toujours changeantes.
Et puis, il y a la cerise sur le gâteau : le doute face à soi-même. Cette voix déplaisante et persistante dans la tête de nos membres, qui leur fait dire : « Je n’en fais pas assez ».
Ce n’est pas en méditant qu’on s’en sortira, ça, c’est certain.
Le personnel enseignant et les élèves du Manitoba sont retournés en classe le 17 janvier tout en sachant que leur gouvernement ne fait pas grand-chose, à part se croiser les doigts et espérer que tout ira pour le mieux.